La pandémie comme métaphore de la crise au temps de la société capitaliste

Creato: 23 Novembre 2020 Ultima modifica: 23 Novembre 2020
Scritto da Giorgio Paolucci Visite: 710

[IT]

Publié le 15 Novembre 2020 par Pantopolis (traduction française

C’en est assez du capitalisme! Ouvrons le chemin vers un autre monde, une autre humanité.

covidfrHôpitaux prêts à s’effondrer, lieux publics, usines et bureaux fermés, visages couverts de masques, milliards de personnes enfermées dans des maisons, cercueils empilés en attendant une sépulture. « Nous sommes en guerre », nous répète-t-on à tout bout de champ : guerre sanitaire, économico-financière, politique et sociale. Une guerre sans précédent car non provoquée par les hommes mais par la nature contre l’humanité tout entière. Pour certains, ce serait une sorte de vengeance exercée contre l’immense volonté de puissance de l’homme qui l’incite à s’en prétendre le possesseur comme s’il s’agissait d’une simple chose inanimée et non du cœur battant de la vie et dont il est lui-même le fils et une partie intégrante. Donc, un accident, une sorte de météorite géante tombée du ciel, aussi inattendue qu’imprévisible.

Cette pandémie ne disparaîtra pas sans que l’on remonte jusqu’au Covid-19, cet ennemi terrible et invisible qui n’épargne personne. On ne compte plus aujourd’hui les néologismes composés en combinant le terme «Covid-19» ou celui de «corona», dans tous les domaines : scientifique, médico-sanitaire et économico-social. Tout cela pour construire un récit selon lequel il n’y aurait pas de relation entre la crise dévastatrice qui s’annonce et les faits précurseurs, c’est-à-dire l’état de choses antérieur avant la propagation de la pandémie.

Ainsi, fait tout à fait exceptionnel dans l’histoire moderne, une guerre éclate avant la crise.

On pourrait objecter que l’histoire ne se répète jamais et qu’il y a toujours une première fois pour tout.

C’est peut-être le cas, mais en fait, en y regardant de plus près, il devient très clair que ce récit cache en fait la véritable relation de cause à effet entre l’éclatement des crises et les contradictions inhérentes au processus d’accumulation du capital, que c’est déjà depuis le début des années 70 du siècle dernier que le système est en proie à une crise systémique profonde avec des spécificités telles qu’on la saisisse non comme un événement périodique généré par le cours cyclique du processus d’accumulation du capital, mais comme un événement permanent, qui devient, de fait, tout comme la guerre impérialiste, le modus vivendi de la société capitaliste [1].

Dans la crise actuelle, en effet, manque un facteur fondamental qui, dans le passé, permettait au système, grâce aussi au pouvoir destructeur de la guerre, de surmonter ses crises et d’entamer un nouveau cycle d’accumulation du capital à partir de la production d’une masse globale de plus-value bien supérieure à celle précédant la crise. Ainsi, tout au long du XIXe siècle, dans les pays les plus industrialisés, il a été possible de réduire la durée de la journée de travail et d’améliorer considérablement la condition des travailleurs.

À la source de la crise

Comme toujours, même lors de l’éclatement de la crise actuelle, le système a réagi en augmentant la productivité du travail en remplaçant une grande partie de la main-d’œuvre par des machines technologiquement avancées et en déclenchant ainsi une nouvelle révolution technologique dont la particularité, qui la distingue clairement de toutes les précédentes, est qu’elle détruit beaucoup plus d’emplois et de postes de travail qu’elle n’en crée [2], à tel point que la perte de plus-value qui en résulte n’est pas suffisamment compensée par la productivité plus élevée du travail obtenue grâce aux nouvelles machines.

C’est comme si, pour utiliser le langage médical, si en vogue en ces temps de pandémie, la réponse immunitaire aurait provoqué une tempête de cytokines d’une telle intensité qu’elle se montrerait plus toxique que le virus qu’elle combat.

La survie du système dépend, en effet, de sa capacité à extraire la plus grande plus-value possible de la force de travail survivante, l’obligeant à travailler de plus en plus intensément, et pour des salaires qui, même dans les régions de la planète les plus développées sur le plan capitalistique, ne garantissent même pas le minimum vital.

Le Covid-19 n’est donc pas la cause de la crise mais la confirmation de sa temporalité : pour autant qu’entre-temps il ne soit pas surmonté dans la sphère des rapports de production capitalistes, il fait de la vie, pour une partie croissante de la population mondiale, un véritable enfer, dont le seul horizon est purement et simplement la survie. La propagation même des épidémies – qui sont devenues de plus en plus fréquentes ces derniers temps – est étroitement liée aux caractéristiques spécifiques de la société bourgeoise dans cette phase historique ainsi qu’aux exigences de sa préservation.

L’historien de la médecine F. M. Snoweden, dans son dernier livre Epidemics and Society. From the black death to the present, écrit :

«Les épidémies ne sont pas des événements aléatoires qui affectent capricieusement et sans signe annonciateur la société... Chaque société engendre ses propres vulnérabilités spécifiques» [3].

Non seulement les épidémies, mais la plupart des maladies qui frappent l’humanité sont la conséquence directe du mode de production capitaliste et des modes de vie et de consommation qu’il impose en fait.

Parmi celles-ci, comme cela a été maintenant reconnu scientifiquement, figurent de nombreuses formes de cancer, des maladies cardiovasculaires, l’obésité, le diabète, etc.

Concentrons notre attention sur les épidémies.

La faim systémique de plus-value donne en fait lieu à ce qui est maintenant, à bien des égards, une véritable agression contre la vie sous toutes ses formes, à commencer par celle des travailleurs. Afin d’augmenter l’extraction de la plus-value par une réduction systématique et permanente des salaires, entre autres, l’organisation et la division internationale du travail ont été complètement révolutionnées.

Avec la première, on a supposé que la majorité des travailleurs pourrait permuter – grâce aux nouvelles technologies – entre différents emplois, tout en restant 24 heures sur 24 à la disposition de l’ensemble de la classe capitaliste, et qu’elle ne soit payée que pour le temps où elle est employée.

Il y a quelque temps, un scandale a éclaté, provoqué par la dénonciation du fait que des travailleurs de certaines usines italiennes étaient contraints de travailler munis de couches, parce qu’on leur refusait le droit à la pause nécessaire pour satisfaire leurs besoins physiologiques [4]. Et cela en dit déjà long sur le caractère hautement pathogène des méthodes actuelles de travail salarié. Mais la nouvelle division internationale du travail l’est encore plus.

Le basilic du Kenya

Toujours pour minimiser les coûts de la main-d’œuvre, de nombreuses chaînes de production ont été déplacées vers des contrées où les salaires étaient, et sont toujours, des dizaines et des dizaines de fois inférieurs à ceux des métropoles capitalistes.

Pour certaines de ces filière productives, toutes les phases du cycle de production ont été découpées; chacune d’entre elles est localisée dans des pays distants même de plusieurs milliers de kilomètres; en tout cas, toujours dans des pays où les salaires ne suffisent souvent pas pour un seul repas quotidien digne de ce nom.

Un téléphone portable Apple, par exemple, est assemblé en Chine avec des pièces provenant d’une centaine de pays différents, puis renvoyé aux quatre coins du monde. Du point de vue du capitaliste, tout cela est le sommet de la rationalité, car il parvient ainsi à tirer le plus grand profit possible de chaque étape spécifique du cycle de production.

Mais pas du tout du point de vue des intérêts de la communauté. Il y a à sa charge tant de coûts indirects que s’ils devaient être supportés par les agents du capital qui en tirent profit, ils finiraient en quelques heures sur le trottoir. Un bac de basilic du Kenya – comme nous l’avons constaté par hasard sur un étal d’une chaîne de supermarchés italienne bien connue – coûterait autant qu’un plateau contenant environ dix grammes d’or. Bref, une véritable folie. Mais comme c’est une source généreuse de profit, tout cela se développe et s’étend à un rythme frénétique. De même qu’aucune pause n’est autorisée dans l’usine, ce va-et-vient de marchandises et d’hommes n’admet aucune interruption sans mettre en péril le processus d’accumulation du capital à l’échelle mondiale.

Le Covid-19 semble avoir fait le saut des espèces, d’une chauve-souris ou d’un laboratoire peu importe, dès septembre dernier et a été identifié quelques semaines plus tard, mais pas artificiel et pas uniquement en Chine, accusation portée aujourd’hui par le milliardaire siégeant à la Maison Blanche, et démentie par ses propres conseillers scientifiques.

Tout le monde a fait l’impossible pour ne pas proclamer le confinement, pour devoir ensuite courir se mettre à l’abri alors qu’il était devenu clair que ne pas le faire conduirait à une catastrophe aux proportions bibliques.

Néanmoins, en Italie, plus de 40 % des entreprises ont continué à exercer leurs activités, même non essentielles. Parmi elles, une usine d’armement lombarde, pourtant située dans une zone déclarée zone rouge.

La soif de plus-value est telle que l’assaut contre le travail salarié, contre les conditions de vie et d’existence des travailleurs ne peut s’arrêter aux allées et venues mentionnées, c’est-à-dire au seul stade de la production. Voici ce qu’écrivent Marx et Engels dans Le Manifeste du Parti communiste :

«Et une fois terminée l’exploitation de l’ouvrier par le fabricant, et le salaire payé en espèces trébuchantes, cette exploitation n’a pas encore de fin. Car aussitôt accourent les autres espèces de bourgeois, le propriétaire, le commerçant, le prêteur sur gage, etc., qui se jettent sur l’ouvrier» [5].

Contrairement au passé, aujourd’hui, en raison de la crise de la plus-value ou de la valeur, il est nécessaire que pas une seule miette de celle-ci ne soit gaspillée. Ainsi, grâce aussi au très haut degré atteint par le processus de concentration et de centralisation du capital, la figure du patron d’usine coïncide de plus en plus aussi avec celle du prêteur sur gages : les grandes banques, les sociétés financières, les différents fonds d’investissement, etc.; le propriétaire avec les grandes sociétés immobilières et de construction; le commerçant avec la grande distribution, etc.

Par conséquent, celui qui contrôle et produit le capital financier, c’est-à-dire la pompe à finances [6], peut s’approprier directement la plus-value extraite de la force de travail, autant dans la phase de production que dans la phase de circulation, de sorte que les deux formes d’appropriation sont confondues et qu’il est donc difficile de distinguer également la production du capital réel, produit à partir de la production de biens (A-M-A’), de celle du capital fictif, produit ex nihilo à partir d’autres capitaux financiers (A-A’).

Cette confusion est de nature à faire croire à beaucoup, qui se réfèrent également à la critique marxiste de l’économie politique, que la crise ne provient pas de ce que nous venons de définir comme la crise de la plus-value, mais de la production hypertrophique du capital fictif et de la prévalence de l’usine financière.

Ce serait, en somme, entièrement la faute de la cupidité des banquiers.

D’où également l’idée que, en limitant et en revenant à des politiques économiques de type keynésien, le dépassement de la crise serait tout proche, comme s’il y avait un bon capital, le vrai qui génère la richesse et le bien-être et un mauvais, le fictif, qui, vivant de la seule appropriation parasitaire de la plus-value, ne génère que faim et misère. C’est un unicum, aussi unique que la source dont il tire sa nourriture, se tenant l’un à côté de l’autre dans une sorte de relation symbiotique, dans laquelle l’invité est en même temps l’hôte et vice versa.

La conséquence en est la guerre impérialiste permanente pour l’accaparement de la fraction la plus importante possible de la plus-value extraite à l’échelle mondiale [7].

Surexploité dans l’usine et littéralement dépouillé à l’extérieur…

Des générations entières de travailleurs ne toucheront jamais une retraite (salaire différé) suffisant à leur éviter de sombrer dans la misère la plus noire, lorsqu’ils cesseront de travailler. Et avec le démantèlement de l’aide sociale (salaire indirect), ils ont perdu toute protection sociale, de sorte que si, pour une raison quelconque, ils arrêtent de travailler même pour quelques jours, ils doivent mendier un repas en faisant la queue devant un centre  de bienfaisance.

Le même sort est réservé à la santé publique. Si le Covid-19 a pu se propager, c’est aussi parce qu’il n’y a pas eu de pays où il n’ait trouvé des portes grand’ ouvertes : les hôpitaux, qui auraient dû servir de première tranchée pour contenir l’épidémie et de meilleure ligne de défense pour le traitement des personnes infectées, sont rapidement devenus un amplificateur mortel des contagions. Lorsque le virus est arrivé, ils se sont retrouvés complètement pris au dépourvu et privés de l’équipement de protection le plus élémentaire pour les travailleurs de la santé. De nombreux médecins et infirmières ont été infectés et sont morts parce que les hôpitaux pâtissaient du manque de ces masques désormais célèbres, alors qu’ils coûtaient quelques dizaines de centimes d’euros. Et cela s’est produit partout dans le monde, et pas parce que c’était un événement totalement imprévisible : depuis des années, les virologues et les épidémiologistes en parlaient comme d’un péril  imminent.

La santé comme marchandise

Mais la santé, un marché de niche pour quelques riches, devait également se développer jusqu’à devenir l’une des sources les plus juteuses de profit. Sa Majesté le capital l’exigeait et l’État, son valet, s’est incliné.

En quoi cette source de profit est-elle juteuse ?

Quentin Ravelli, chercheur au Centre national de la recherche scientifique français, écrit :

 «Les crises économiques sont aussi sélectives que les épidémies : à la mi-mars, avec l’effondrement des marchés boursiers, les actions de l’industrie pharmaceutique ont augmenté de 20 % suite à l’annonce de l’essai clinique du Remdesevir contre le covid-19. Celles d’Inovio Pharmaceuticals ont augmenté de 200 % après l’annonce d’un vaccin expérimental, le Ino-4800. Celles d’Alpha Pro ont augmenté de 232 %. Quant à Co-diagnostic, ses actions ont fait un bond de 1.370 % grâce au kit de diagnostic moléculaire du coronavirus» [8].

Une augmentation de la capitalisation de cette taille, qui ne correspond nullement à une augmentation équivalente de la valeur industrielle de l’entreprise (capital réel) et du produit, n’aurait jamais pu se produire sans la marchandisation d’un bien de première nécessité comme la santé. De bien à sauvegarder à tout prix, il est devenu lui-même un instrument très efficace d’appropriation parasitaire de la plus-value.

Ravelli de poursuivre :

 «... la technique en question est peu coûteuse – 12 euros pour un kit vendu en France 112 euros, dont 54 de la poche du patient – mais elle peut faire l’objet d’accords tarifaires prohibitifs dans un contexte où quelques grandes entreprises, comme Abbot ou Roche, vendent aux laboratoires locaux des plates-formes technologiques aux prix exorbitants» (9).

Que de morts en moins si cette abomination, cette véritable insulte à la vie, n’avait été possible ! Mais c’est ainsi : le profit, avant tout, par tous les moyens, telle est la loi suprême du capitalisme. Et en y regardant de plus près : dans le bond des espèces accompli par le virus des animaux sauvages à l’homme, l’empreinte du profit n’est pas absente.

Le café de la civette

Silvana Galassi, ancienne professeure d’écologie à l’Université de Milan, écrit :

«Les marchés humides, où les étals sont trempés de sang, du contenu des intestins et des excréments des pangolins, chauves-souris, civettes qui sont sacrifiés sur place pour garantir l’authenticité et la fraîcheur du produit, ont continué à se répandre en Asie...

« Ces pratiques ont des racines profondes et représentaient autrefois des formes de survie ou étaient l’expression d’anciennes cultures, mais elles existent aujourd’hui principalement pour des raisons économiques.

« Je n’ai pas été scandalisé à Bali lorsque, visitant une prétendue plantation «bio» de café, de thé, d’épices et de cacao, j’ai fait la connaissance du luwak (la civette), un petit mammifère nocturne à partir duquel les Balinais font un café très spécial, le kopi luwak, qui est obtenu à partir des fèces animales ne contenant que des baies partiellement digérées. Mais j’ai appris qu’au lieu de collecter les excréments dans la forêt où vit la civette, les propriétaires des plantations l’enferment dans une cage pour le reste de sa vie, en ne lui donnant que du café.

« Ce n’est plus de la culture mais seulement du mercantile: une tasse de kopi luwak authentique peut coûter 15 euros et un kilo de grains de café est vendu pour 800 euros. Et le marché engloutit aussi la culture et la transforme en objet de consommation. Si nous voulons éviter de telles pandémies à l’avenir...., le problème doit être saisi à la racine.

« On estime que 300.000 virus sont présents dans les espèces sauvages et on pense que certains d’entre eux sont déjà en état de faire le saut des espèces» [10].

Si le caca est également devenu source de profit, on peut bien affirmer que l’épidémie est en quelque sorte un produit de la crise historique du capitalisme, et donc aussi sa meilleure métaphore.

En réalité, son éruption a fait monter, et même de beaucoup, le niveau de la rivière inondée, mais les berges qui étaient censées la contenir étaient déjà elles-mêmes sur le point de se rompre.

D’autre part, une crise d’ampleur catastrophique, comme celle qui se profile à l’horizon, avec seulement quelques semaines d’un blocage de l’activité économique, même partiel, ne peut s’expliquer autrement.

Selon de nombreuses prévisions, il faudrait remonter au deuxième après-guerre, lorsque la moitié du monde s’était transformée en tas de décombres, pour trouver un effondrement comparable à celui qui pointe à l’horizon.

Bien que le discours actuel en parle comme d’un biblique ange exterminateur, le Covid-19 n’a pas vraiment détruit la moindre soupente. Cela a certainement contribué à exacerber la crise, mais dans un contexte où les conditions étaient toutes réunies depuis un certain temps. Même avant le déclenchement de l’épidémie, le PIB et la production industrielle étaient partout déclinantes, et même une nouvelle bulle financière géante était sur le point d’exploser.

Voici ce qu’écrit R. Romano le 23 janvier 2019 :

«La croissance du revenu mondial s’est ralentie depuis longtemps, tout comme le commerce mondial des biens et des services. La guerre monétaire et commerciale a exacerbé la tendance et ne l’a pas déterminée, (et toutes les conditions sont réunies pour que) la bulle financière des produits dérivés explose; ces derniers représentent 2,2 billiards, soit 33 fois le PIB mondial» [11].

Mais grâce au Covid-19, cet hier a été littéralement soustrait, au point que l’on parle de post-épidémie de la même façon que l’on parle d’après-guerre, avec le démarrage d’une phase de reconstruction, afin que nous puissions revenir le plus rapidement possible à l’état de choses antérieur à l’épidémie.

Redémarrer, tel est le mot d’ordre

Ainsi, bien que l’épidémie soit loin d’être terminée et que la science médicale nous avertisse que le risque d’une deuxième vague est très élevé, il s’agit désormais d’une course à la reprise.

La Chine et la Corée du Sud sont déjà dans la course; de nombreux États américains s’y mettent – bien que dans beaucoup d’entre eux, à commencer par New York, le pic n’ait même pas été atteint – et pratiquement tous les pays européens, l’Allemagne en tête.

La vérité est que ni la circulation ni l’accumulation du capital ne peuvent tolérer la moindre limite et, aujourd’hui comme jamais auparavant, même pour quelques jours, sans que l’ensemble du système encoure le risque de s’effondrer comme un château de sable.

Le mot d’ordre du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest de la planète est donc : réouverture. Tout et tout de suite. Et à cette fin, toutes les grandes banques centrales ont recommencé à injecter à profusion des liquidités dans le système.

En fait, les mêmes politiques d’assouplissement quantitatif adoptées après l’éclatement de la crise des subprimes et qui ont échoué de manière retentissante.

En fait, seulement 27 % de toutes ces liquidités ont été utilisées dans l’économie dite réelle, les 73 % restantes se sont retrouvées dans la pompe à finances, augmentant la part du capital total qui cherche à les valoriser, principalement par des systèmes d’appropriation parasitaire de la plus-value; et ainsi, en un laps de temps, la situation d’avant la crise s’est de nouveau aggravée.

Aujourd’hui, compte tenu de la baisse considérable des activités manufacturières (en mars, la production industrielle italienne a chuté de 29,3 % par rapport au même mois de l’année précédente), et du fait que de nombreuses entreprises devront modifier leur mode de fonctionnement pour des raisons sanitaires, il est probable que l’économie réelle en absorbera une part proportionnellement plus importante. Mais en tout cas, comme il n’y a rien à reconstruire et que la soif de profits, due à une abstinence forcée, sera énormément accrue, il est facile de prévoir, dans la relation symbiotique nouée entre capital réel et capital fictif, un renforcement du rôle joué par  l’hébergé par rapport à celui d’hébergant. Et par conséquent aussi une plus grande férocité dans l’assaut permanent contre les salaires et les conditions de vie des travailleurs, ce qui est maintenant devenu une condition sine qua non pour la préservation du capitalisme.

De plus, on en a observé les premiers signes dès le début du confinement. Des millions de travailleurs engagés avec des contrats temporaires, à la demande, etc., ceux de la soi-disant économie de partage (coursiers, chauffeurs Uber, etc.), et l’immense armée des travailleurs au noir, n’ont même pas reçu une obole pour survivre, littéralement réduits à la famine. Et le pire, c’est qu’ils retrouveront à peine un emploi, même lorsque le confinement aura pris fin, et s’ils en trouvent un, ce sera pour des salaires encore plus médiocres et des conditions de travail bien pires que celles qui sont déjà très précaires.

Beaucoup d’entre eux ne trouveront même pas de travail – pas même sur le marché noir – car de nombreuses petites et moyennes entreprises, dont la plupart fonctionnent déjà à la marge, auront du mal à rouvrir en raison des nouvelles réglementations en matière de santé et d’hygiène et de l’absence de conditions minimales pour s’y conformer.

En outre, de nombreuses autres entreprises, notamment dans le secteur du tourisme et de la restauration, ne réabsorberont qu’une partie de leurs employés, car il est matériellement impossible de revenir immédiatement à une activité complète.

Le chômage va augmenter et avec lui automatiquement la concurrence entre les travailleurs et la réduction des salaires moyens.

C’est, après tout, ce que l’on attend généralement du marché du travail à l’échelle mondiale.

Pensez, en fait, à la considérable implémentation qui a souffert du prétendu smart working (littéralement : travail intelligent) ou du travail à distance, du travail agile et ainsi de suite. C’est-à-dire, travailler à la maison. En apparence, c’est le mieux que l’on puisse rêver : pas de réveil matinal pour se rendre au bureau, moins de frais de transport, moins de pollution et la possibilité pour le travailleur d’organiser son temps de la manière qui lui convient le mieux.

Et bien sûr, il y a aussi des avantages pour les entreprises, qui auront besoin de moins de bureaux et auront donc moins de frais en éclairage, en nettoyage, etc.

Il y a un non-dit, ou dont on parle très peu : le travail à distance, qui ne nécessite rien de plus qu’un PC et une plate-forme de stockage et de collecte de données, peut être divisé en de nombreux ensembles attribués sur le réseau, sur la base d’une vente aux enchères avec un rabais maximum, à des travailleurs du monde entier qui parlent cette langue particulière et/ou sont experts dans ce travail particulier.

Nous n’exagérons rien, il se passe déjà quelque chose de très similaire avec la plate-forme Mechanical Turk, où en moyenne, même pour des emplois de qualification moyenne à élevée, on ne perçoit souvent pas plus de deux dollars par heure,  et donc – ne serait-ce que pour assurer sa simple survie – il faut travailler même 17 heures par jour, rester connecté 24 heures sur 24 et faire plusieurs travaux en même temps [12].

Comme c’était le cas jadis avec le travail à domicile : travailler toute la journée entre sarclage de la terre et tissage.

Avec la soif de plus-value, on ne peut même pas imaginer que le développement de cette forme moderne de travail à domicile (tout sauf intelligent ou agile, comme on pourrait le dire !) puisse donner autre chose que cela : plus de travail, pour des salaires toujours plus bas, que l’on travaille à la maison ou à l’extérieur.

La vie ne mérite pas d’être ainsi gâchée. Alors, encore une fois, le capitalisme, ça suffit ! Feu vert pour un autre monde, une autre humanité, pour le communisme.

[1] Cf. G. Paolucci, Syrie, Iran, Irak, Kurdistan: le monde prisonnier de la guerre impérialiste permanente.

[2] Cf. C. Lozito, Intelligenza artificiale, liberazione o dannazione del lavoratore?

[3] F. M. Snoweden, Epidemics and Society. From the black death to the present, Yale University Press, New Haven 2019, cité dans «Il Mondo Virato», Limes, n° 3/2020.

[4] Pour une recherche plus approfondie, voir: G. Paolucci, «Les limites et les perspectives du conflit social à l’ère de l’ordinateur et du travailleur libre».

[5] K. Marx et F. Engels, Il Manifesto del Partito Comunista (1848), Einaudi, Turin 1970, p. 110.

[6] Voir à ce sujet, entre autres, G. Paolucci, Il dominio della Finanza, et Sulla crisi dei subprime rileggendo Marx.

[7] Voir L. Procopio, «Analyse d’une crise qui changera le cadre impérialiste mondial”, DMD’, n° 15, 2020.

[8] Q. Ravelli, «Une mine d’or pour les entreprises pharmaceutiques», Le Monde Diplomatique, avril 2020.

[9] Ibid.

[10] S. Galassi, «Mettons l’écologie au bon endroit», Il Manifesto, 29 avril 2020.

[11] R. Romano, «La grande gelata svela il baco di un sistema che non regge», Il Manifesto, 23 janvier 2019; cf. G. Greco, I fantasmi di una recessione prossima ventura. Le sue implicazioni sul piano di classe e su quello internazionale

[12] Voir R. Staglianò, Lavoretti, Einaudi, Torino 2018, p. 124 et suiv.